Libération, "Port-Médoc rame pour attirer le client", 6 décembre 2005.
Par Rafaële BRILLAUD
"Sorti des eaux en 2004, le port de la pointe de Grave, censé concurrencer Royan et revitaliser cette zone sinistrée, est à la peine. Il apparaît soudain, après deux heures de route au milieu des vignes, des pins et des marais médocains. Un bassin de 15 hectares en eau profonde, 800 anneaux, un port flambant neuf semblant surgir au milieu de nulle part. Voilà un an et demi que Port-Médoc a ouvert à l'embouchure de la Gironde, tout au bout de la pointe de Grave, en face de Royan (Charente-Maritime) et à une centaine de kilomètres au nord de Bordeaux (Gironde). Et, malgré deux étés d'activité, il paraît encore endormi.
La création d'un port de plaisance n'est pas monnaie courante. Celle de Port-Médoc, dans une zone reculée et sinistrée, demeure un projet audacieux, porté à bout de bras par la communauté de communes. « En 1988, la fermeture du terminal pétrolier a été un choc financier pour la pointe, explique Alain Martinet, le maire (sans étiquette) du Verdon. Nous avons perdu un tiers de nos ressources et plus de 20 % de notre population ». Pour relancer l'économie locale, les élus des onze communes ont donc signé en 2001 le contrat de construction et d'exploitation d'un port avec la société Guintoli Marine, concessionnaire pour quarante ans. Celle-ci a financé 85 % des 32 millions d'euros, les 15 % restant étant à la charge des conseils général et régional, de l'Union européenne et des communes.
Faiblesses. Port-Médoc, premier port créé en France depuis une quinzaine d'années, a donc accueilli ses premiers bateaux début juillet 2004. Une naissance a priori judicieuse, puisqu'une étude de l'Afit(1) évaluait, en 2003, le besoin de places dans les ports français à 54 000, dont 13 300 rien que sur la façade atlantique (soit 47,5 % de la capacité de la zone). Néanmoins, « le nouveau port que l'océan attendait », selon les termes du dossier de presse, tarde à se remplir. A l'heure actuelle, une maigre moitié d'anneaux (320) est cédée, en majorité à des habitants de la région, et sur les 36 cellules commerciales construites des cabanons en plastique imitation bois , seule une dizaine était un peu animée cet été (une vingtaine serait vendue).
«Il faut de la patience, nous sommes sereins», affirme Walter Guyonvarch, le responsable d'exploitation, qui est sûr d'afficher complet d'ici à cinq ou six ans, et rappelle même la possibilité d'une extension à 1 200 anneaux. Il est vrai que les faiblesses du site étaient connues d'avance : un accès difficile, des commerces rares et une terre morte l'hiver malgré des plages prises d'assaut l'été. Difficile alors de faire le poids face à des mastodontes tels Royan (1 000 places, 75 à 80 personnes sur liste d'attente), La Rochelle (3 600 places, 1 148 personnes sur liste d'attente) ou Arcachon (2 600 places, 5 000 personnes sur liste d'attente). Mais Alain Martinet est satisfait : l'immobilier flambe déjà, les emplois devraient suivre et les projets sont multiples, dont une ZAC (zone d'aménagement concerté) de 350 logements. De son côté, Port-Médoc vante un « port vert », doté d'un système de récupération et de traitement des eaux, bordé de plages et de forêt, permettant des croisières sur l'océan Atlantique ou sur l'estuaire et, au-delà, sur le canal du Midi.
Houle. Toutefois, l'optimisme de Guintoli et sa communication n'intimident guère, et surtout pas Royan qui parle, dans un franc sourire, de « concurrent light ». Car, en dépit d'une réévaluation à la baisse en janvier, Port-Médoc affichait jusqu'à ce week-end des tarifs deux fois plus élevés qu'ailleurs (au salon nautique Libération du 3 décembre , il a annoncé, pour 2006, mais pour 300 places uniquement, des prix alignés sur ceux des concurrents). Pour ne rien arranger, les jours de vent d'ouest, la houle s'invite au cœur du bassin. Un problème de conception fondamental auquel doit remédier le « n° 1 du terrassement français » pour que Port-Médoc puisse espérer un jour atteindre son rythme de croisière.
(1) L' Agence française de l'ingénierie touristique, qui a été fusionnée avec trois autres entités dans l'Odit (Observation, développement et ingénierie touristiques) en janvier 2005.